Inerrance biblique et véracité de la Bible

      L’inerrance absolue : condition de la véracité du texte biblique ?

 Dans cet article, je souhaite aborder la question de l’inerrance biblique. Il convient toutefois de définir précisément ce que j’entends par là. L’inerrance biblique (ou inerrance), est  la doctrine qui affirme que la Bible est infaillible dans tous les domaines,  y compris dans ses affirmations historiques et scientifiques.

      Cette doctrine est à distinguer de » l’inerrance traditionnelle « qui affirme l’infaillibilité de la Bible seulement en matière doctrinale (position défendue par l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes).

        Dans mon article précédent, j’ai eu l’occasion de relever la confusion courante entre « Bible » et « Parole de Dieu ». Un des dangers de cette confusion est le faux choix auquel le chrétien serait confronté. Ce faux choix, qui aboutit tout droit à une impasse, est parfaitement résumé dans les propos suivants :

Avant tout, il faut rappeler que l’alternative est claire. La Bible affirme que « toute l’Ecriture est inspirée de Dieu » (2Ti 3:16). Et donc soit …

  1. c’est faux : la Bible n’est qu’un ramassis de textes inventés par les hommes.
  2. c’est vrai : la Bible est vraiment ce qu’elle prétend être, la Parole de Dieu.

Il n’y a pas d’autre possibilité !

L’origine de l’inerrance

        On entend souvent dire que la non-croyance en l’inerrance biblique serait une dérive issue du libéralisme contemporain. Ainsi, les chrétiens auraient toujours cru à cette doctrine avant que celle-ci ne soit remise en question par la science libérale moderne ,issue des Lumières, qui déboucha finalement sur le libéralisme protestant.

        Nous verrons donc d’abord que la position des premiers chrétiens était bien différente. Puis après avoir vu que leur opinion s’harmonise beaucoup mieux avec les textes bibliques, nous terminerons en montrant que bien loin de  remettre en question l’authenticité de la Bible, elle confirme au contraire sa véracité.

 Tertullien, défenseur de l’inerrance ?

Tertullien, le premier écrivain latin chrétien est souvent cité comme défenseur de l’inerrance biblique. Regardons ce qu’il en est.

Dans son œuvre principale (Contre Marcion) , Tertullien dit explicitement :

« Mais aussi c’est un fait bien établi qu’alors, en Judée, sous Auguste, un recensement a été conduit par Sentius Saturninus : ils auraient pu enquêter dans ces actes sur son lignage » Contre Marcion Livre IV, 19,10

        En disant cela, il ne peut pas ignorer qu’il contredit les propos de Luc, qui affirme au contraire que le gouverneur qui a mené le recensement était Quirinus (Luc 2 :2). Tertullien ne pense donc pas que les informations historiques des évangiles soient infaillibles et il n’hésite pas à les contredire lorsqu’il juge ses sources plus fiables.  Pour l’anecdote, notons que nos connaissances historiques actuelles vont dans le sens de Tertullien.

Venons en maintenant au passage qui nous intéresse principalement :

« Notre foi, c’est parmi les apôtres Jean et Matthieu, qui nous la communiquent, parmi les personnages apostoliques, Luc et Marc, qui nous la renouvellent, ils sont partis des mêmes règles de foi en ce qui concerne le Dieu unique, le Créateur et son Christ, né de la Vierge, accomplissement de la Loi et des prophètes. Tant pis si il y  a des variantes dans la disposition de leurs récits, pourvu que sur le point capital de la foi, il y ait accord- un accord qu’on ne trouve pas avec Marcion ! » Contre Marcion, Livre IV 2, 2-3

         Tertullien reconnaît donc explicitement qu’il y a entre les Evangiles des différences. Loin de les nier, il les accepte puisque celles-ci  ne changent rien au contenu de la Foi. Voyons tout de suite un exemple.

Le figuier maudit

«Jésus entra dans le temple de Dieu. Il chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons.  Et il leur dit: Il est écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs.   Des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le temple. Et il les guérit.   Mais les principaux sacrificateurs et les scribes furent indignés, à la vue des choses merveilleuses qu’il avait faites, et des enfants qui criaient dans le temple: Hosanna au Fils de David!   Ils lui dirent: Entends-tu ce qu’ils disent? Oui, leur répondit Jésus. N’avez-vous jamais lu ces paroles: Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle? Et, les ayant laissés, il sortit de la ville pour aller à Béthanie, où il passa la nuit. Le matin, en retournant à la ville, il eut faim. Voyant un figuier sur le chemin, il s’en approcha; mais il n’y trouva que des feuilles, et il lui dit: Que jamais fruit ne naisse de toi! Et à l’instant le figuier sécha.   Les disciples, qui virent cela, furent étonnés, et dirent: Comment ce figuier est-il devenu sec en un instant? » Matthieu 21 : 12-20

« Le lendemain, après qu’ils furent sortis de Béthanie, Jésus eut faim. Apercevant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il y trouverait quelque chose; et, s’en étant approché, il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas la saison des figues.  Prenant alors la parole, il lui dit: Que jamais personne ne mange de ton fruit! Et ses disciples l’entendirent.   Ils arrivèrent à Jérusalem, et Jésus entra dans le temple. Il se mit à chasser ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons;   et il ne laissait personne transporter aucun objet à travers le temple.   Et il enseignait et disait: N’est-il  pas écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs.  Les principaux sacrificateurs et les scribes, l’ayant entendu, cherchèrent les moyens de le faire périr; car ils le craignaient, parce que toute la foule était frappée de sa doctrine.   Quand le soir fut venu, Jésus sortit de la ville.  Le matin, en passant, les disciples virent le figuier séché jusqu’aux racines.  Pierre, se rappelant ce qui s’était passé, dit à Jésus: Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit a séché. » Marc 11 : 12-21

         En comparant ces deux récits, nous constatons que chez Matthieu la malédiction a lieu après que Jésus ait chassé les vendeurs du Temple, et les disciples, qui voient directement le miracle (verset 20), questionnent immédiatement Jésus .Tandis que chez Marc, la malédiction a lieu avant l’expulsion des marchands, mais c’est après cette expulsion (le lendemain) que les disciples, en repassant devant le figuier, se rendent compte du résultat et interrogent Jésus.

 Les divergences des Evangiles : un danger ?

       Imaginez que vous demandiez à 4 personnes qui ont passé leurs vacances ensemble ,dans une colonie par exemple, de vous en raconter le déroulement. Vous aurez 4 récits qui auront globalement la même trame, avec des points complémentaires (tel détail retenu par l’un mais oublié par l’autre), mais aussi parfois des petites divergences. Un tel se souviendra que la sortie piscine a eu lieu le vendredi, tandis que l’autre la situera le jeudi.

       C’est exactement la même chose. Plutôt que de composer un seul récit de la vie de Jésus, l’Eglise a fait le choix de conserver dans la Bible  4 évangiles, 2 nous sont rapportés par des témoins directs et deux par des témoins indirects. Sur la plupart des points ils s’accordent ou se complètent. Seulement parfois, il peut aussi exister des divergences. Est-ce un problème ?

    Non, bien au contraire, écoutons plutôt ce que dit  Jean Chrysostome à ceux qui objectaient que les divergences étaient nuisibles à la vérité de l’Evangile :

 « Je vous réponds que ces différences sont précisément la plus forte preuve de la véracité des évangélistes. Si l’accord de leur récit avait été minutieux jusque dans la circonstance, jusque dans le lieu, jusque dans les mots mêmes, aucun de leurs ennemis n’aurait cru que c’était sans s’être réunis, ni sans une sorte de convention d’homme à homme qu’ils ont écrit ce qu’ils ont écrit, ni qu’un tel accord serait le fait de la sincérité. Mais précisément cette différence qui se montre dans les détails empêche de soupçonner ces écrivains et témoigne clairement en leur faveur ». Homélie introductive sur Matthieu

           Plutôt que de tordre les textes bibliques à l’aide de raisonnements qui ne font que ridiculiser ceux qui les tiennent, mieux vaut admettre certaines divergences entre les textes. Bien loin de remettre en cause la fiabilité du récit, ils en confirment au contraire l’authenticité.

        En effet,  les chrétiens d’autrefois, qui ont toujours remarqué ces divergences, n’ont pas cherché à les corriger et ont préféré conserver le texte tel qu’il leur avait été transmis.

        Par ailleurs, dans le cas des Evangiles, ces divergences prouvent l’indépendance de chaque récit. Les évangiles ne résultent pas d’une source commune qui aurait été retravaillée tardivement , mais ils sont bien 4 témoignages indépendants.

15 réflexions sur “Inerrance biblique et véracité de la Bible

  1. Bonsoir Nelson,

    Tout d’abord désolé, je ne sais pas pourquoi ton commentaire ne s’est pas affiché directement. C’est seulement en regardant dans le tableau de bord que je l’ai vu.

    Je ferai à l’avenir d’autres articles pour expliquer ce qu’est réellement l’inspiration. Mais pour te répondre rapidement : oui.

    Il y a cependant différents niveaux d’inspirations et différentes formes d’inspiration. Tous les textes de la Bible ne sont pas inspirés de la même façon.

    Les récits évangéliques sont des témoignages humains qui nous racontent la vie de Jésus. Ce qui est inspiré, ce n’est donc pas le texte en lui-même mais l’objet de ce texte, en l’occurrence Jésus la Parole de Dieu incarnée.

    Après au sein même des Evangiles il faut distinguer le rôle de chacun. Chaque évangile a été écrit par un auteur particulier, dans un but précis.

    Matthieu est un hébreu qui s’adresse à des hébreux, Marc est l’interprète de Pierre et s’adresse à des païens, Luc est un médecin paien, mais écrit son évangile comme un historien, quant à Jean, c’est le disciple bien aimé.

    Je parlerai plus en détail de la spécificité de chacun des évangiles dans un article consacré à ce sujet.

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  7. Bonjour Mr Vincent. Vous affirmez que « Cette doctrine est à distinguer de » l’inerrance traditionnelle « qui affirme l’infaillibilité de la Bible seulement en matière doctrinale (position défendue par l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes). »

    Je ne crois pas que cette position d’une innérance limité à la doctrine est celle défendu par l’Église catholique.

    Voici un extrait de PROVIDENTISSIMUS DEUS de Léon XIII :
    On ne peut non plus tolérer la méthode de ceux qui se délivrent de ces difficultés en n’hésitant pas à accorder que l’inspiration divine ne s’étend qu’aux vérités concernant la foi et les mœurs, et à rien de plus. Ils pensent à tort que, lorsqu’il s’agit de la vérité des avis, il ne faut pas rechercher surtout ce qu’a dit Dieu, mais examiner plutôt le motif pour lequel il a parlé ainsi.

    DEI VERBUM du Concile de Vatican II dit aussi :
    « Dès lors, puisque toutes les assertions des auteurs inspirés ou hagiographes doivent être tenues pour assertions de l’Esprit Saint, il faut déclarer que les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les Lettres sacrées pour notre salut. »

    Amicalement,
    Miguel

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    • Bonjour Miguel,
      Il est vrai que dans les textes officiels la position de l’Eglise catholique est ambiguë en revanche dans la pratique, il n’y a aucun doute , l’Eglise catholique défend bien une doctrine de l’inerrance limitée.

      Dans le cadre de mes études j’ai eu l’occasion de croiser de nombreux prêtres, qui sont bien sur encore nombreux à travailler dans ce domaine, et je peux t’assurer que La critique historico-critique est acceptée et enseignée dans les séminaires de formation des prêtres. Cela avait commencé au début du siècle avec le Père Lagrange et l’école biblique de Jérusalem et cela s’est généralisé et étendu à l’ensemble des séminaires après Vatican II.

      Par ailleurs, le youcat, approuvé par Benoit XVI, affirme expressément le non-inerrance de la Bible. Si tu le souhaites, je peux te retrouver les passages.

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      • Bonjour Mr Vincent

        Je vous l’accorde, en pratique, on peut trouver des gens qui défendent cette position. Tout comme on peut trouver des gens qui défendent le sacerdoce des femmes, etc. Cela n’en fait pas un enseignement officiel de l’Église.

        Vous avez aussi raison pour Youcat. Il prend effectivement cette position. Plusieurs experts travaillent présentement sur cette question et il est prématuré de prétendre que l’Église défend officiellement une position plutôt qu’une autre avant qu’une conclusion ne soit donnée. Pour l’instant, officiellement, les deux positions sont tolérées.

        Pour la méthode historico-critique, elle est enseignée dans tous les séminaires catholiques et c’est une bonne chose. J’ai moi-même étudié la méthode historico-critique. Cependant, je ne comprends pas pourquoi vous abordez ce sujet ici. On dirait que vous croyez que l’utilisation de cette méthode nous amène nécessairement à la conclusion de l’inérrance limitée. Pourtant, je connais plusieurs personnes qui, comme moi, appliquent la méthode historico-critique et qui n’ont pas de problème à pourvoir aussi concilier cela avec une inérrance biblique complète. Et ce, sans pour autant tomber dans la caricature du fondamentalisme et du littéralisme biblique.

        Je vous conseille cet article qui fait un bon résumé de cette question difficile de l’innérance biblique de Dei Verbum. L’article n’est pas neutre, il fait la promotion de l’innérance complète, mais c’est un des meilleurs articles que j’ai trouvé qui explique bien le débat. Il est en anglais. : http://www.rtforum.org/lt/lt145-6.html

        Pour votre article, je vous conseillerai d’ajouter le terme « certains catholiques », puisque certains « autres catholiques » risquent de mal réagir à votre description.

        Miguel

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        • Bonjour Miguel,

          Votre remarque m’intéresse :

          « . Plusieurs experts travaillent présentement sur cette question et il est prématuré de prétendre que l’Église défend officiellement une position plutôt qu’une autre avant qu’une conclusion ne soit donnée. Pour l’instant, officiellement, les deux positions sont tolérées. »

          Pouvez-vous m’en dire plus sur ce travail en cours ? Car je n’en n’ai jamais entendu parler.

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          • Bonjour Mr Vincent,

            Il y a eu des discussions à ce sujet en 2008 lors d’un Synode qui a réfléchit sur la Parole de Dieu contenu dans les Écritures et la Tradition. Suite à la constatation d’interprétation différentes de Dei Verbum 11, la Congrégation pour la Doctrine de a Foi alors demandé à la Commission Pontificale Biblique de se pencher sur la question et d’expliciter le passage de Dei Verbum 11, à savoir s’il promeut une inerrance restrictive ou complète :

            « Dès lors, puisque toutes les assertions des auteurs inspirés ou hagiographes doivent être tenues pour assertions de l’Esprit Saint, il faut déclarer que les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les Lettres sacrées pour notre salut »

            Plus récemment, entre le 2 mai et le 6 mai 2011, la Commission Pontificale Biblique a réfléchi précisément sur cette question. Apparemment, aucun document n’a encore été publié en cette matière, ou du moins je n’ai jamais pu trouver de documents concernant la conclusion de cette rencontre. Cet article de Jimmy Akin, encore en anglais, explique bien ce développement plus en détail :

            http://jimmyakin.com/2011/04/vatican-preparing-action-on-biblical-inerrancy-prayers-needed.html

            Miguel

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